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    Histoire de la Villeneuve de Grenoble

    CR de la conférence de J.F. Parent aux journées du patrimoine 2004 (18/09/04)

    (J.F. Parent fut urbaniste associé à la conception de la Villeneuve, puis président de l'office HLM Opale. C’est en outre un habitant du quartier.)

    A l'origine

    Début des années 60: on manque cruellement de logements sociaux à Grenoble. Il y a de nombreux logements qui sont vides car trop chers, et des taudis dans les vieux quartiers. Les logements sociaux sont surtout dans les villes périphériques, lesquelles en ont construit au delà de leurs moyens, et sont donc engorgées par l'endettement et incapables de financer les équipements qui vont avec. A la demande du préfet est lancé un grand plan de d’aménagement touchant 14 communes. Mais juste après les municipales de février 65, les nouveaux élus le rejettent en bloc.


    Grenoble (H.Dubedout) et Echirolles remontent un nouveau projet de ZUP sur 300 hectares au sud de la ville (notamment sur les terrains de l'aérodrome de l'époque). Les financements arrivant pour les infrastructures des JO de 68 aident à démarrer (construction du Village Olympique).

    L'approche du nouveau projet se veut révolutionnaire: une équipe d'architectes, mais aussi de sociologues, d’urbanistes, d'enseignants, installée sur place et non télécommandées depuis Paris. Les directives sont précises: mixité sociale (50% de logements sociaux), 50% d'accession à la propriété pour un coût inférieur de 30% aux prix moyens de l'époque, prévoir autant d'emplois que de logements, créer les équipements (écoles, santé, sport…) en même temps que les logements (impensable à l'époque, car du ressort de différents ministères). Contrairement au projet initial de déplacer le centre historique de Grenoble, il s'agit maintenant de construire un second centre, à l’usage de la zone sud de l’agglomération.


    Villeneuve

    Par rapport au quartier Village Olympique, on garde l'objectif de 60 logements à l'hectare, mais répartis autrement: 2 sous-quartiers de 2000 logements séparés par un parc, en privilégiant les voies piétonnes. Plusieurs maquettes sont faites pour tester les idées (comment éviter les grandes barres et les tours (solution type de nombreuses cités); où mettre commerces et parkings; imaginer les circulations...). Les associations d'habitants du Village Olympique sont associées aux discussions. Diverses visites d'étude sont organisées (certaines avec les élus, pour venir à bout des frilosités), notamment dans les pays nordiques et en Angleterre. On opte pour un plan en forme de criques et une galerie piétonne.

    Coté qualité, les logements bénéficieront du premier label d'isolation phonique, et auront 10% de surface en plus que les normes de l'époque. Entre autres innovations, les vides ordures débouchent sur un collecteur pneumatique en sous-sol... Difficultés pour trouver des promoteurs (finalement 2 nationaux, et pas de locaux)...

    La DATAR (aménagement du territoire) obtient des diverses administrations de verser à un pot commun pour la construction des équipements (écoles, santé, sport...) en même temps que les autres bâtiments.


    Quartier 1: Arlequin (et autres)

    L'inflation à 2 chiffres entraîne des dépassements de budget. Par économie, on ne construit qu'un ascenseur sur 2 à Arlequin (d'où les coursives trop longues). On associe des constructeurs privés. Entre mai 72 et décembre 73, c'est la mise en service de cette première moitié du quartier Villeneuve, soit 2200 logements. Avec tout une gamme de tarifs: ILN (loyers normaux), HLM, ILM, copropriétaires... (Les HLM sont à l'origine moins équipés; par exemples ils n'ont pas de volets bien que les rails soient là !).

    La décoration d’origine a disparue en grande partie (faute d'entretien): façades en grands dégradés colorés sur fond blanc, couleurs vives ailleurs (d'où "Arlequin"), nombreuses fresques et statues...

    Plusieurs infrastructures sont mises en place (mais on disparu depuis): ateliers affiches, poterie, tissage... Et même un studio TV (tout le quartier est câblé, le studio existe encore).

    Les écoles ont un statut dérogatoire: pédagogie en rupture, écoles ouvertes, terminaux d'ordinateur... Le collège est alors imbriqué avec la Maison de quartier (dont l’actuel Patio), en plus de locaux qui occupent la cours de la crique centrale (détruits depuis). Le self fait aussi restaurant collectif (mélange des élèves et des adultes du quartier (professionnels, habitants)). Le CDI est intégré à la bibliothèque.


    De l'esprit et des lieux il ne reste que le CLEPT (Collège et Lycée Elitaire Pour Tous); le collège actuel étant, lui, très classique malgré son architecture futuriste (en plus il est maintenant entouré de grilles contre les "rodéos" qui empêchaient les cours en rez-de-chaussée). Les maternelles et primaires se sont "normalisées", tout en gardant l'esprit d'école ouverte et quelques projets originaux.

    Sous Carignon la politique d'attribution des HLM est modifiée (et pas vraiment rectifiée ensuite), mettant à mal la mixité sociale et l'équilibre du quartier. L’entretien et la rénovation du quartier sont négligés.


    Grand Place

    Faute de financeurs privés c'est la ville qui prend à sa charge le grand centre commercial, mais qui du coup en fait un lieu de vie: expositions, manifestations culturelles, bibliothèque... Les fresques se moquent même du consumérisme (radeau de la méduse en steak sur lit de frites...).

    Ouverture en 75. La location des boutiques est très rentable, et finance la réhabilitation des vieux quartiers de Grenoble. Carignon vend en 1985. Autour de Grand-Place, des bureaux et des équipements (école d’architecture, bourse du travail, hôtel…) sont construits; le projet vient juste de s'achever en 2002 avec la construction de la patinoire.


    Quartier 2: Les Baladins - Géants

    Même principe que le quartier 1 (un peu plus tard), autre architecture (d'autant que confiée à divers architectes privés). On corrige les défauts du quartier 1: coursives moins longues, parking plus proches des logements (sous la dalle, plutôt qu'en silos). Le budget artistique est concentré sur les 12 sculptures des Géants (plus qu'11 aujourd'hui) plutôt que dispersée sur les fresques.

    Problème: faire venir des commerces, car il y a déjà ceux d'Arlequin, de Carrefour Grand Place, plus ceux des communes limitrophes si proches (Eybens) sur lesquelles il n'y a aucun moyen d'action (e.g. installation du Lidl). La grande superette de la place des saules disparaîtra.


    Le Parc et les Transports

    Le parc est crée au fur et à mesure que le quartier s'agrandit. L'idée des buttes est prise, lesquelles permettent de créer un paysage en ruptures d'horizon plutôt qu'en esplanade d'aéroport. Elles sont formées avec la terre évacuée des fondations. Les arbres sont alors trop maigres pour être visibles, mais forment aujourd'hui une magnifique quasi-forêt.

    Des passerelles communiquent avec Grand-Place, les quartiers mitoyens et le Cargo, rendant l'ensemble accessible aux fauteuils roulants (le quartier étant pratiquement sur un même niveau).

    A Grand-Place l'emplacement du terminal de transport en communs est réservé, mais le mode de transport initialement prévu est un véhicule suspendu sur câble (un prototype est construit). On optera finalement pour le tram, et donc une station plus proche du sol.


    Quelques remarques conclusives

    La situation a changé depuis 65: on était en plein emploi, mais il y a maintenant 10 à 15 % de chômage (sur le quartier 30%). Les familles nombreuses étaient courantes, ce qui n'est plus le cas. Le logement était moins cher. Mais surtout le climat social était à l'ouverture à l'autre et aux différences, aux nouvelles pédagogies; alors qu'on assiste aujourd'hui aux replis communautaires et au renfermement sur soi. Le sentiment d'insécurité est important, alors que les statistiques d'agressions sont inférieures à celles du centre ville. La paupérisation des habitants a fortement augmentée, l'entretien du bâti se relâche (école, piscine... par contre les espaces verts sont très bien soignés). Et il y a 10.000 demandes de logements sociaux insatisfaites dans l’agglomération !

    En guise de projet de réhabilitation, on ne peut accepter de démolir des logements, mettre des voitures dans le parc, ou éliminer les commerces ! Le quartier-nature réservé aux piétons est en phase avec notre époque, et il faudrait plutôt recréer l'esprit d'accueil et d'ouverture.

    Le principe et le fonctionnement des comités consultatifs de quartier, les ateliers avec les habitants pour la réhabilitation de l'allée des Peuplier, sont tout de même des signes encourageants.



    Compte Rendu : Fabrice Neyret
    Relecture: JF Parent, F Joussellin